Depuis un peu plus d’un an, les difficultés pour les acteurs de l’industrie sont légion, et comme si cela ne suffisait pas les voilà confrontés à des difficultés pour se fournir en matière première. Pénurie et flambée des prix sont, depuis plusieurs mois, le lot quotidien de nombre de sous-traitants. Nous avons enquêté sur ce phénomène et sur ses causes possibles.
Le constat est sans appel : « Entre la fin de l’année dernière et aujourd’hui, l’Aluzinc [acier revêtu d’un alliage d’aluminium et de zinc, N.D.L.R.], a quasiment doublé de prix, nous explique Nicolas Renoult, P.-D.G. de Renoult SA à Combs-la-Ville. Si l’on regarde maintenant l’inox 304, dont nous consommons de grosses quantités, nous constatons des augmentations de l’ordre de 70 à 100 % sur trois mois ! » Au cours de notre petite enquête, une autre problématique nous a été rapportée sous couvert d’anonymat par crainte de rétorsion de la part du fournisseur : « Ils sont très puissants et nous avons besoin d’eux, averti notre interlocuteur en préambule. Récemment, l’un de nos clients nous a fait une demande de prix pour des pièces nécessitant de la matière sur laquelle nous avions un stock insuffisant pour le servir. Nous avons donc vu auprès de notre fournisseur de matière qui nous a indiqué que la quantité était disponible. Or, notre client ne souhaitait pas nous passer une commande, mais s’assurer de la disponibilité de la matière car le même fournisseur indiquait au soustraitant qu’il avait retenu pour réaliser ses pièces, que cette matière n’était pas disponible avant trois mois. » L’explication de cette troublante anecdote tient, d’après le fournisseur, à la réservation de stock en tension pour certains gros clients, car la pénurie est, selon lui, bel et bien réelle. Dans un autre exemple, c’est un besoin de tôles d’acier revêtues dont la quantité globale n’était pas disponible et que l’entreprise est parvenue à obtenir en trois lots distincts avec un écart de 40 % entre le prix le plus bas et celui le plus haut, alors même que le tarif le plus avantageux se situait déjà 30 % au-dessus du prix obtenu en septembre dernier. « On nous explique que les difficultés viennent des arrêts de hauts fourneaux induits par le confinement et à une surconsommation induite par le redémarrage. C’est une explication à laquelle j’ai beaucoup de mal à croire car le plus gros consommateur mondial de tôle est l’automobile, dont certains spécialistes bien informés nous expliquent, dans le même temps, que le niveau des ventes est revenu à ce que l’on connaissait en 1975 ! », s’exaspère Pierre Petit, président de la société Matit à Feillens, dans l’Ain.
La FIM alerte les pouvoirs publics
Ce constat, fait auprès de plusieurs utilisateurs de matière première, préoccupe la profession et plus largement les acteurs des industries mécaniques dont le syndicat professionnel, la Fédération des industries mécaniques (FIM), a tout récemment lancé une alerte auprès des pouvoirs publics et fait le point sur la situation depuis le début de l’année. « Pour les produits issus essentiellement de la filière fonte, donc tout ce qui est produits plats et notamment les tôles ou bobines galvanisées, la situation est très tendue : les délais d’usine sont de trois mois minimum et les importations se font rares de la part des pays tiers », précise le communiqué de la FIM. Joint par téléphone, Philippe Contet, directeur général de la FIM nous explique que « c’est une conjonction complexe d’événements qui est à l’origine de la situation préoccupante que nous connaissons aujourd’hui. En résumé, la crise sanitaire qui a conduit à un ralentissement extrême de l’activité industrielle au mois de mars 2020 a été suivie, lors du redémarrage en mai et juin, d’une période durant laquelle un grand nombre d’entreprises ont consommé préférentiellement leur stock de matière première le temps de valider la solidité de la reprise. »
Ce comportement prudent, combiné à une baisse des besoins sur les produits sidérurgiques du bâtiment et de l’automobile principalement a conduit les aciéristes à arrêter nombre de hauts fourneaux, de sorte que lorsque l’activité est repartie très fort, notamment en Asie à partir de septembre, et que les premières tensions sont apparues, les hauts fourneaux européens étaient à l’arrêt. « Le redémarrage de telles installations demande du temps, nous expliquent les sidérurgistes et il n’est pas possible de produire les produits finis avant de disposer de la matière première, de sorte que l’on observe une situation paradoxale dans laquelle des usines sidérurgiques sont en chômage partiel avec une demande insatisfaite », poursuit Philippe Contet. Les représentants de la filière expliquent être confrontés à un autre problème. Ils ont en effet modifié leurs processus de production d’acier pour les rendre conformes aux exigences environnementales avec une filière électrique fonctionnant avec des ferrailles de récupérations. Or, voilà déjà quelques années que les entreprises sidérurgiques asiatiques suivent la même voie, et absorbe des quantités considérables de ferrailles. « Cette situation crée un manque de matière première pour la sidérurgie européenne , explique le directeur général de la FIM, et expliquerait la hausse spectaculaire des prix des produits issus de la filière électrique qui dépendent en partie de la valorisation des ferrailles. »
Des conséquences préoccupantes
En dehors des situations particulières que nous avons évoquées en préambule, d’importantes hausses de prix pondérées sur l’ensemble des secteurs industriels sont constatées sur trois mois (septembre à décembre 2020) sur certains métaux : tôle à chaud en bobine (+17,8%), barre ronde acier allié (+11,2%), rond à béton (+12,8%). L’indice FIM Mécastar note de son côté des hausses de l’ordre de 10 à 40 % sur cette même période pour différentes matières premières (aluminium, bronze en lingot, fil de cuivre, laiton en lingot, etc.). Une situation qui inquiète Philippe Contet : « La situation est complexe et on ne peut pas écarter l’idée que les sidérurgistes se satisfassent de cette situation qui leur permet d’augmenter leurs tarifs après une année difficile, mais ce qui est encore plus problématique que l’accroissement des prix, c’est la pénurie de matière que l’on constate sur le terrain ».
Qu’il soit réel ou organisé, le manque de matière a en effet des conséquences catastrophiques. « Nous commençons à voir des PME qui sont parvenues à passer la crise en maintenant leur trésorerie, qui ont des carnets de commandes remplis, des employés motivés et compétents, un niveau d’équipement qui leur permet d’être compétitifs, et qui sont contraints d’annoncer des délais de fabrication de quatre à cinq mois à leurs clients par manque de matière ! Il y a là un risque majeur pour nos industries qui maintiennent leur activité grâce à leur agilité et leur capacité à livrer leurs clients avec des délais courts. Cette pénurie les place de facto en concurrence frontale avec les pays à bas coûts de production. Les entreprises dans cette situation sont encore peu nombreuses, mais nos inquiétudes sont grandes. C’est la raison qui nous pousse à solliciter les instances publiques pour que les efforts de soutien qui ont été déployés durant cette crise ne tombent pas à l’eau », s’inquiète-t-il.
Quelles réponses des pouvoirs publics ?
Au cours de cette enquête nous avons cherché à recueillir la position du ministère de l’Économie sur cette situation préoccupante où des entreprises malmenées par la crise, mais réactives et soutenues par les mesures exceptionnelles mises en place, risquent de croiser Scylla après être sorties des griffes de Charybde. Au moment où nous bouclons ce numéro, la réponse de la DGE se fait attendre malgré nos relances. Si nous venons à en recevoir une, nous ne manquerons pas de vous la faire connaître dans notre newsletter ou dans la revue selon le temps que prendront les services de Bercy à se pencher sur la question. À suivre donc…